Vincent Vosse, patron du team Audi WRT: "Je préfère gagner Spa en GT3 que les 24H du Mans en GTE"
Quarante ans que le Verviétois, Vincent Vosse, patron du team Audi WRT, est passionné par notre double tour d’horloge.
- Publié le 24-07-2017 à 18h02
- Mis à jour le 24-07-2017 à 18h10
Quarante ans que le Verviétois, Vincent Vosse, patron du team Audi WRT, est passionné par notre double tour d’horloge. Tout a débuté par le volant d’autos… scooters à la foire des 24H en 1977. Quarante ans plus tard, après avoir gagné l’épreuve en tant que pilote (2002) puis team-manager de son propre team (2011 et 2014), Vincent Vosse aligne avec son team Audi WRT non moins de six R8 LMS Ultra lors d’une édition 2017 débutant dès ce mardi avec les essais réservés aux pilotes bronze amateurs.
Vincent, quel est votre plus lointain souvenir des 24 Heures de Francorchamps ?
"L’édition 1977, la dernière sur le grand circuit de 13 km. J’avais cinq ans et demi. Mon père était ami avec André Gérard, le patron de Marabout qui sponsorisait à l’époque des BMW 3.0 CSL de chez Luigi. 1977, c’était aussi l’année des magnifiques BMW UFO. Papa n’allait généralement pas plus loin que la loge Martini, en dessous de la cabine speaker. Il avait du mal à décoller de là et me donnait régulièrement des billets pour que j’aille faire des tours en autos- scooters. Mais moi je préférais déjà m’aventurer dans les stands où j’attendais des heures pour avoir un autographe de Claude Bourgoignie, le cousin de maman qui a signé des poles en Camaro. Je collectionnais aussi les stickers que je collais sur mon panier de basket. À partir de 14 ou 15 ans, j’ai commencé à venir seul, avec des copains. J’étais pote avec un jeune pilote, Vincent Bertinchamps. Il me prêtait sa petite moto et j’allais le voir passer tout le long du circuit."
À quand remonte votre première participation ?
"1995, déjà avec une Audi, une 80 Quattro que je partageais avec le Sud Africain Terry Moss et notre pilote de F1 Philippe Adams qui roulait en Procar avec cette auto préparée par Franz Dubois. À partir de là, je n’ai plus manqué une édition derrière le volant jusqu’en 2010."
Quel est votre meilleur souvenir en 22 ans de participation ?
"Il y en a eu beaucoup. Mon unique victoire en tant que pilote en 2002 sur la Viper Larbre partagée avec Sebastien Bourdais, Christophe Bouchut et David Terrien restera à jamais gravée dans ma mémoire. Mais le moment le plus fort fut, pour plusieurs raisons, notre dernière victoire en 2014. D’abord parce que la semaine a débuté, le mercredi, par la naissance plutôt inattendue de Sam, mon dernier fils. Ensuite, car cela a été une bagarre très intense face à la BMW de Marc VDS avec qui je n’entretenais pas d’excellentes relations à l’époque. C’était tendu. On a pris la tête à un quart d’heure de l’arrivée et on a gagné pour sept secondes. C’était autre chose que les cinq tours d’avance que je comptais en 2002. En prime, il y avait eu des tensions entre Laurens Vanthoor et René Verbist, pas d’accord sur la tactique à adopter. Laurens était ensuite tombé malade et n’avait pu assurer ses derniers relais."
Et le pire ?
"Oh, il y a eu pas mal de désillusions vu que je n’ai réussi à m’imposer qu’une fois en seize participations derrière le volant. Or depuis le début du GT, à l’exception des éditions 2005 et 2010, j’ai toujours pointé en tête à un moment de la course. Bien sûr, il y a eu mon forfait l’année de la Saleen Larbre. On avait signé la pole et un de mes équipiers a détruit l’auto lors du warm-up le samedi matin. Je l’ai appris alors que j’étais sur la route pour venir au circuit. Mais le plus dur à encaisser fut sans doute 2013. La BOP n’était pas juste et nos Audi rendaient deux secondes et demi au tour. Démarrer la semaine des 24H quand vous savez que vous n’avez aucune chance de gagner est vraiment quelque chose de pénible. Malgré tout, on avait réussi à monter sur le podium avec la voiture rescapée d’André Lotterer. En 2006, je formais l’équipage le plus rapide chez Maserati Vitaphone avec Jamie Davies et Thomas Biagi. Nous pointions bien en tête après quelques heures quand l’auto a pris feu. En 2004, avec la Ferrari 575 Maranello et Mika Salo, on a mené 22h avant d’être victimes d’un extracteur baladeur. Enfin, je me souviens qu’en 2012 on a perdu en une demi-heure en matinée nos deux chances de succès lorsque Stéphane Ortelli, aux commandes, a été victime d’une crevaison. Et dans la foulée, Edward Sandström est sorti de la route au Raidillon."
Pourquoi adorez-vous autant cette épreuve ?
"Parce que j’y viens depuis 40 ans, que cela se passe près de chez moi et que c’est un véritable challenge. Mais mon coup de cœur est aussi devenu la plus grande course pour GT au monde. Je peux vous assurer que je préfère gagner les 24H de Spa au général que de remporter la catégorie GTE aux 24H du Mans. Ici, il y a 64 voitures de la même catégorie et quarante peuvent signer la pole. Un truc de fou."
"Le LMP2 est trop cher"
Malgré un bilan 2016 dans le rouge, WRT est là pour de longues années encore.
Actif depuis 2010, multipliant les voitures et les programmes, le team WRT, composé aujourd’hui de plus de 60 personnes, a vécu un hiver difficile avec un bilan comptable négatif et la mise à l’écart du fils d’un des trois associés et chef mécano, le très apprécié François Verbist.
Vincent, est-il exact que 2016 n’a pas été une bonne année sur le plan financier pour votre équipe ?
"C’est de la cuisine interne. Je tiens d’abord à préciser que notre réussite suscite la jalousie et que certains chiffres cités concernant nos pertes sont vraiment de belles c… Il est exact que nous ne sommes pas très contents de notre dernier bilan. Mais comme toute grande société nous avons consenti de gros investissements pour continuer à nous développer : on a dû acheter des nouvelles voitures et renouveler une partie de notre matériel. Mais je peux rassurer tout le monde : WRT ne gagne pas que des courses et est là pour de nombreuses années encore."
Suite à la mise à pied de François Verbist, plusieurs autres anciens mécaniciens l’ont rejoint dans son nouveau team, ComToYou.
"Ce sont des gars qui travaillaient déjà en sous-traitance pour les programmes de Jean-Michel Baert. Seul Mathieu Lefèbvre a réellement suivi François."
Vous vous entendez malgré tout toujours bien avec François ?
"Bien sûr. On s’embrasse toujours quand on se voit. Il est encore venu avec sa famille en vacances dans mon chalet à la montagne et on aime toujours bien boire un verre ensemble. Son papa René continue à travailler normalement pour nous. Maintenant, on est aussi en concurrence sur le TCR International. On n’aime ni l’un ni l’autre être battu et chacun fait le meilleur pour son équipe. Mais sans animosité aucune."
Prenez-vous toujours autant de plaisir sur les courses ?
"Honnêtement, non. Cela dépend des week-ends et des championnats. Quand tu rames, que tu as l’impression de ne pas pouvoir tout gérer, c’est plus dur d’en profiter. Aligner six voitures n’est pas rien mais on le fait pour des raisons économiques. Ici, on aura deux structures avec chacune trois voitures. Ce n’est pas simple mais grâce à l’implication de toute l’équipe plus forte encore que les saisons précédentes on parvient à relever ce gros challenge."
Vous avez effectué une apparition remarquée l’an dernier en ELMS avec un proto et d’emblée le podium à Francorchamps. Pourquoi ne pas avoir monté un programme en LMP2 ?
"J’avais un peu trop peur de lâcher ce que l’on fait déjà avec un certain succès pour se lancer dans une compétition très coûteuse. Si un ou plusieurs pilotes étaient venus me trouver au mois d’octobre avec le budget pour le WEC, on l’aurait fait. Mais cela coûte trop cher, 4,5 millions pour la saison. Et contrairement au Blancpain par exemple avec Audi, il n’y a aucun soutien de constructeurs. C’est cela le problème du LMP2."
Quels sont les nouveaux défis que vous aimeriez relever dans le futur ?
"Si Audi développait une GTE, il est clair que participer avec WRT aux 24H du Mans me plairait beaucoup. Mais je ne lâcherai jamais la Blancpain et SRO. J’ai beaucoup d’estime pour Stéphane Ratel qui est un visionnaire et un travailleur. Même si on n’est pas toujours d’accord sur tout, notamment aujourd’hui sur la manière dont il donne la priorité aux amateurs, j’ai énormément de respect pour ce qu’il a créé avec le GT3."
"Quatre de nos Audi peuvent l’emporter"
Le team WRT engage pour la première fois six autos.
Vincent, pensez-vous pouvoir gagner à nouveau cette année ?
"C’est le but, on est là pour cela. Mais on n’est pas les seuls. Les écarts vont à nouveau être très serrés. On n’a pas vu lors du Test Day les réelles possibilités de chacun. Il faudra donc attendre les qualifications de jeudi soir pour avoir une meilleure vision de où l’on se situe par rapport à nos concurrents. De toute manière, il faut toujours un brin de chance pour remporter les 24 Heures. En 2015 et 2016, nous menions à la tombée de la nuit quand notre voiture de pointe a été retardée par un accident."
Plusieurs marques ont rencontré des soucis avec les nouveaux pneus Pirelli. Est-ce également votre cas ?
"Oui. S’il fait aussi chaud que lors de la journée d’essais, tout le monde va être mal et cela va constituer un réel problème. L’architecture des voitures fait que certaines GT3, notamment celles possédant le moteur à l’avant, sont plus douces avec les pneus arrière que nous. Les Mercedes, Bentley et Ferrari pourraient réussir à doubler les relais avec les mêmes pneus, ce qui serait un gros avantage."
Qui pointez-vous comme principaux concurrents ?
"S’ils ne se prennent plus les pieds dans le tapis comme l’an dernier, je dirais que la Bentley de Max Soulet part favorite. Après, la Mercedes HTP de Buhk-Eriksson-Perera et la Porsche de Laurens sont de sérieux candidates au podium. La 991 est soutenue par l’usine et est la plus méconnue pour la BOP. Il existe donc un plus grand risque pour que le responsable de la Balance de Performances ait loupé un truc."
Combien WRT compte-t-il de voitures pour la gagne ?
"Les trois soutenues par Audi Sport à savoir la #1 de Garcia-Muller-Rast, la #2 de Filippi-Mies-Vervisch et la #5 de Fassler-D. Vanthoor-Lotterer. Mais je n’écarterais pas non plus d’office la #17 de Leonard-Green-Dennis."
Aux 24H du Nürburgring, les Audi ont dominé les autres usines. Un signe encourageant ?
"Oui, même si cela ne veut pas dire grand-chose car la BOP, les pneus et le circuit sont fort différents."
Recevrez-vous encore la visite du Docteur Ullrich ?
"Bien sûr. Il travaille toujours pour Audi Sport et sera mon invité dès vendredi soir à la maison pour un petit repas rituel avec nos différents partenaires."
Où en êtes-vous au championnat Blancpain Endurance ?
"À Stoumont-La Gleize ! Après nos accidents à Monza et Silverstone, on a seulement réussi à faire notre premier podium aux 6H du Castellet. Maintenant, un tout bon résultat ici assorti d’une déconvenue pour les leaders pourrait tout relancer."
À choisir, vous préféreriez un succès aux 24H ou le titre en Blancpain ?
"Sans hésiter une seconde la victoire dimanche soir. Des titres Blancpain, on en a assez dans notre armoire !"
La pole depuis 3 ans
Depuis 2013, la fameuse année où les Audi, mal balancées, étaient totalement hors du coup, les R8 WRT ont décroché à trois reprises la pole position : "En 2014 avec Laurens Vanthoor, l’année suivante à notre grande surprise grâce à Franck Stippler et l’an dernier de manière encore plus inattendue suite au déclassement de toutes les Mercedes devant nous", explique Vincent Vosse. Un quatre à la suite est-il possible ? "Je n’en sais rien. Mais on ne sera pas à deux secondes, cela c’est sûr !"
Le podium minimum
C’est la huitième année déjà que le team Audi WRT participe aux 24H de Spa. Après une 13e place absolue en 2010, la 5e en GT3 avec l’équipage Ortelli-Lémeret-Verbist-Mollekens, l’équipe montoise a chaque année placé au moins une de ses voitures sur le podium, deux même en 2014, l’année de sa deuxième victoire. Selon les statistiques, si le cycle 1-2-3 est respecté, cela devrait gagner de nouveau en 2017 !